Augustin d’Hippone : lettre 1

Dimanche 18 septembre 2005 — Dernier ajout vendredi 9 avril 2010

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Hermogénien était un ami des jeunes années d’Augustin ; celui-ci, dans ses premières et déjà belles études philosophiques, aimait à recueillir les jugements de cet ami. Dans cette lettre écrite à Cassiciacum vers la fin de l’année 386, il demande à Hermogénien ce qu’il pense de son livre Contre les Académiciens.

Augustin à Hermogénien

e n’oserais jamais, même sous forme de badinage, attaquer les Académiciens ; l’autorité de si grands hommes me toucherait déjà beaucoup, si de plus je ne savais que leur pensée n’a pas été celle que le vulgaire leur a prêtée. Autant que je l’ai pu, je les ai imités plutôt que combattus, ce qui passerait mes forces, car il me paraît qu’il était alors convenable que si quelque chose de pur devait couler de la source platonicienne, on le fît passer, à la portée d’un petit nombre d’hommes seulement, dans un lit étroit tout voilé d’ombres et sous des buissons épineux, au lieu de le conduire à découvert et de l’exposer à être troublé et souillé sous les pieds des bêtes qui s’y seraient précipitées. Quoi de plus bestial en effet que l’opinion de ceux qui croient que l’âme est un corps ? Contre des hommes de cette sorte, il est raisonnable et utile d’imaginer un art de cacher la vérité ; mais dans ce siècle où nous voyons bien des philosophes, qui ne le sont que par leur robe, et que je ne trouve pas dignes d’un nom si vénérable, il me semble bon de ramener à l’espérance de découvrir la vérité ceux que le génie des mauvais Académiciens détournerait systématiquement de la connaissance des choses. Il ne faudrait pas que des précautions prises dans un temps pour le déracinement de profondes erreurs, servissent à empêcher qu’on ne répandit la science.

En ce temps-là les différentes sectes s’agitaient dans l’étude avec une ardeur si vive, qu’on devait beaucoup redouter que le faux ne fût autorisé. Chacun, chassé à coups d’arguments du point où il se croyait le plus inexpugnable, se mettait à chercher autre chose, avec d’autant plus de force et de prudence que l’application à la science des moeurs était plus grande : la vérité et ses profondeurs obscures paraissaient se cacher dans la nature des choses et dans la nature même de l’esprit. Aujourd’hui qu’on aime si peu le travail et les nobles études, si on entend dire que des philosophes très subtils aient jugé impossible de rien connaître, les intelligences se laisseront aller et se fermeront éternellement. On n’osera pas se croire plus pénétrant que ces philosophes, ni se vanter d’avoir trouvé ce qui aura échappé à la grande étude, au génie, aux loisirs, au savoir vaste et varié de Carnéade pendant une longue vie. Si ces esprits paresseux se décident, par un effort, à lire les ouvrages qui refusent à la nature humaine la faculté de connaître la vérité, ils retombent aussitôt dans un assoupissement si profond que la trompette céleste ne pourrait pas les éveiller.

Votre jugement sur mes petits livres, m’est très agréable, et telle est mon opinion sur vous, que je ne crois pas votre sagesse capable de se tromper ni votre amitié capable de feindre ; c’est pourquoi je vous demande de voir soigneusement et de m’écrire si vous approuvez ce que j’ai dit, à la fin du troisième livre (contre les Académiciens), plutôt par conjecture qu’avec certitude, mais pourtant, je pense, avec plus d’utilité que d’incrédibilité. Quoi qu’il en soit de ce que j’ai écrit, ce qui me plaît surtout, ce n’est pas d’avoir vaincu les Académiciens, ainsi que l’amitié, plus peut-être que la vérité, vous le fais dire, c’est d’avoir brisé le lien qui m’empêchait de m’approcher des mamelles de la philosophie, et d’avoir triomphé du désespoir de trouver le vrai, cette patûre de l’esprit.

Source :

M. Poujoulat, Lettres de saint Augustin, Librairie liturgique-catholique, Paris 1858, p. 1-3.

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